"Le DMP dans sa conception actuelle ne peut être adopté pour chaque citoyen à l'échelle nationale, dans la mesure où il ne répond pas aux objectifs poursuivis alors que son coût de mise en oeuvre est très élevé". Voici la phrase qui fera forcément le tour de la presse française et du microcosme de la Santé. C'est la première proposition du Comité Consultatif national d'éthique qui, saisi en mars 2008 par Roselyne Bachelot, a rendu publiques ses réflexions le 12 juin 2008, au cours d'une conférence de presse animée par le Pr Grimfeld, P. Lecoz, et F. Dreifuss-Netter.
Ce fut tout le contraire des grandes réunions à
l'Assemblée nationale où l'on a présenté à plusieurs reprises les
avancées du DMP – une trentaine de journalistes traditionnels et au
moins une bloggeuse dans un salon ancien du 9e arrondissement, aucun
support multimédia, et un parler-vrai tout à fait extraordinaire.
Comme vous le verrez, je ne peux qu'applaudir ce groupe qui fait
émerger au grand jour toutes les difficultés du DMP.
En même temps, c'est inacceptable de continuer à dire
que l'on n'est pas bon et d'en rester là. Or le mandat du CNE étant
restreint à l'analyse de la situation actuelle, la conclusion citée en
première ligne est tout à fait logique. Poursuivant leur analyse
jusqu'au bout, le DMP sera le dossier des volontaires, ceux qui souhaitent en bénéficier malgré les risques et limites – mais comment en avoir envie après avoir lu toutes les limites?
Synthèse de la réflexion du CNE
I. Les problèmes
a) "L'informatisation actuelle du système de santé, notamment à l'hôpital, ne semble pas avoir atteint le niveau quantitatif et qualitatif nécessaire à la mise en place du DMP."
b) "Il reste beaucoup d'incertitudes sur le contenu du DMP."
Document technique (examens, diagnostics) sans la prévention?
La durée de conservation des informations?
c) "Le DMP ne pourrait avoir des retombées économiques que s'il suscitait une large adhésion des personnes et des professionnels" (les professionnels ne seraient-ils pas des personnes?)
d) Le DMP est pour les professionnels un outil de travail à usage professionnel -- accès le plus large et masquage le plus réduit; le DMP pour les usagers est un dossier qui appartient à la personne soignée.
II. Les limites
a) ne remplacera pas le dossier médical (!) : dimension clinique de la relation médecin/malade pas prise en compte
b) le masquage rend impossible l'exhaustivité et n'est donc pas compatible avec les objectifs
c) certains patients préfèreront ignorer un diagnostic grave ou détail trop technique
d) personne n'est prêt
e) les économies prévues n'auront pas lieu (coût de la mise en place, système de soins qui pousse à prescrire [je cite])
III. Les risques du DMP
a) risque de porter atteinte à la confidentialité
b) risque de constituer des banques de données dont on ne peut préjuger de l'usage demain par : l'industrie pharmaceutique, les assurances, la sécurité, l'Etat
c) risque de données fausses, incomplètes, trop difficiles à trouver
d) risque d'échec dû à l'insuffisance de la participation des professionnels et usagers
(ndlr: et comment ! après lecture du paragraphe ci-dessus!!)
IV. Encore des difficultés:
a) Le DMP peut porter atteinte à la solidarité : "Au nom de l'exigence de solidarité nationale, la société est en droit d'escompter que le DMP n'aggrave pas les coûts publics en matière de santé"... Un projet axé sur la réduction du déficit de l'assurance maladie (assorti de la perspective de pénaliser les patients qui masqueraient des données) devrait être éloigné comme une menace de discrédit irrévocable du projet."
b) "Il est difficile de miser sur les potentialités de l'outil électronique à produire une disposition à la collaboration alors même que son bon fonctionnement requiert déjà cette disposition collaboratrice à la base"
Au total:
1) Risque d'échec économique si le DMP est étendu à l'ensemble de la population — "le gaspillage des ressources enclencherait une logique de rationnement"
2) Risque du masquage si le DMP est imposé
3) Risque d'appauvrir la dimension clinique et confidentielle de la médecine
Le DMP pourrait être proposé:
- pour des sujets volontaires
- atteints de maladies nécessitant l'intervention de nombreux professionnels sur le long cours
- ayant compris l'intérêt
- possédant la clef d'entrée
- n'encourant aucune sanction en cas de refus
- moyennant une mise en place sur des sites expérimentaux
- avec une évaluation dans 3 à 5 ans
- avant son extension, toujours aux personnes volontaires
Commentaire de Silber's Blog:
Rien de ce qui est dit concernant le DMP n'est nouveau ni surprenant:
– l'état du système informatique
– le coût excessif de la mise en place à en juger par les expériences internationales (à l'exception des Veterans)
– la non-acceptation par les médecins, notamment libéraux, du temps nécessaire à l'intégration du dossier
– la tolérance par notre système de soins de la non-coopération entre professionnels de santé
– la contradiction entre le masquage et l'exhaustivité/efficacité
– l'impossibilité pour tous les Français d'être égaux devant le DMP
Le scénario proposé est tout à fait légitime; mais il ne réduira pas vraiment les coûts. La difficulté est dans la mise en place de l'infrastructure, des méthodologies, des formations...
Ce DMP, sur le plan politique, est donc un bébé bien difficile. Aucun Ministre ne pourra le faire naître au cours d'un quinquennat... Mme Bachelot portera-t-elle plutôt son attention sur le Dossier Pharmaceutique qui avance à plein tube? Et que se passe-t-il à la CNAM, sachant que les patients chroniques génèrent 60% des dépenses?
Sommes-nous donc condamnés à supporter indéfiniment toutes les erreurs et insuffisances qui découlent de l'absence d'un dossier médical électronique, du défaut de coopération entre les professionnels de santé, de l'insuffisance de participation par le patient à sa destinée médicale ?
un codeur vous le peint en deux couche de peinture! pourquoi serait -il cher ce DMP ???
la confidentialité ??? et le cryptage alors ?
le manque de standard dans les hopitaux défavorise ce genre de constitution de dossier!(informatisation des hopitaux doit s'affranchir des logiciels lourds et s'interfacer "en web"! lorsque ceux qui tiennent les cordons de la bourse du ministère auront compris ça ! nous serons sauvé ! beaucoup d'experts en tous mais aucunes idées surtout pas d'idées jeunes !pas de vision globale !
Rédigé par : jean-marc | 29/06/2008 à 10:08
Demander cet avis au comité, n'était il pas un moyen pour Madame la Ministre de trouver un argument "extérieur" pour stopper le projet ? J'ai du mal à imaginer que la réponse du comité ne fut pas "envisageable" par le ministère lorsqu'ils sollicitèrent son avis...
Rédigé par : Hervé | 15/06/2008 à 17:23