L’arrivée du Web 2.0 [2]
repose la question : pourrions-nous connaître une transformation de la
Santé en France par le Net, c’est-à-dire dans le cadre d’un mouvement
non organisé, non contrôlé par l’État ?
Où en sont les États-Unis dans la Santé 2.0 ? Quels enseignements pour la France ? Analyse d’une Américaine à Paris
qui nous rappelle que toute transformation de la Santé n’est pas
seulement « techno-dépendante » ; elle est d’abord fonction du système
en place et de la culture de la population.
Comment définir « Health 2.0 » ou « Santé 2.0 » ? Est-ce la même chose en France qu’ailleurs ?
La première composante de la définition est technique : Health 2.0, c’est l’application de l’ensemble des technologies Web 2.0 au secteur de la Santé.
Et ces technologies sont en évolution constante, car l’un des
piliers du Web 2.0 est non seulement la génération de contenus par les
utilisateurs (user-generated content), mais aussi la génération
d’applications par l’utilisateur (user-generated application).
Le Web 2.0 est donc porté par un deuxième phénomène, d’ordre sociologique, le social networking (réseautage), la création de communautés virtuelles multi-facettes. L’exemple phare est Facebook, en quelque sorte un vaste trombinoscope, où chacun peut créer ses propres groupes thématiques, voire ses applications.
Jusqu’ici, tout va bien ; rien ne sépare vraiment les États-Unis et
la France dans le Web 2.0... sauf lorsqu’il s’agit de la Santé, car la composante la plus importante de la définition de Santé 2.0 est socio-culturelle ; sa définition et son développement dépendent du contexte local, à trois niveaux :
les attentes des acteurs de Santé déterminent les applications 2.0 ;
la disponibilité d’investissements privés ou publics facilite-t-elle ou non le développement des idées ;
le cadre juridique existant autorise-t-il ou non leur mise en œuvre.
Comme sur ces trois points, les perspectives américaines et
françaises se distinguent, Santé 2.0 n’est pas appelée à suivre en
France un chemin identique à celui des États-Unis ou d’autres pays,
même si certaines attentes de fond des professionnels et des usagers
sont similaires de part et d’autre de l’Atlantique.
Par exemple, selon le schéma ci-après de Scott Shreeve, expert
américain reconnu, Health 2.0 facilite un « cercle vertueux »
d’innovation et d’amélioration de la qualité et de l’économie des
soins, par l’introduction :
- d’une vraie concurrence entre les offreurs de soins ;
- de la médecine fondée sur les preuves ;
- d’un progrès dans la connaissance grâce à la communication à grande échelle des résultats médicaux ;
- d’une information ubiquitaire.
Ces valeurs de transparence, de concurrence, d’information
ubiquitaire sont de plus en plus admises aux États-Unis, au moins au
niveau des consommateurs, frustrés par leur système de soins.
Les palmarès des établissements de santé sont parus dans la presse
américaine plus de 10 ans avant ceux de la France. Le palmarès des
meilleurs médecins américains était publié par des éditeurs spécialisés
bien avant le Web...
En France, les contraintes concernant, entre autres, la publicité
des professionnels et des établissements, le champ du « secret
médical » rendent difficiles les mêmes pratiques, tant que certains ne
ne s’y lancent pas en premier avec un gros coup médiatique.
http://health20.org/wiki/Health_2.0_Definition
Où en sont les États-Unis dans le développement de la Health 2.0 en pratique ?
La Health 2.0 est à la fois embryonnaire et riche aux États-Unis ;
Embryonnaire
car aucune application Health 2.0 n’a encore révolutionné la vie
quotidienne de tous les Américains, comme l’a fait Google, par exemple.
Mais cette émergence n’est pas à exclure, de même que personne ne
s’attendait à la destinée fabuleuse de Google, énième moteur de
recherche créé par des étudiants californiens.
riche,
car non seulement on en parle, mais parce qu’un certain nombre de
créations sont allées plus loin qu’ailleurs, et que nous pouvons déjà
identifier les grandes tendances de son développement.
La Health 2.0 tourne surtout autour de la création de communautés qui échangent et qui font circuler des informations auxquelles nous n’accédions pas précédemment.
Communautés réservées aux médecins
Sermo
(conversation, en latin), le Facebook des médecins, est une start-up
financée par du capital risque. Lancé en septembre 2006, Sermo propose
aux médecins la possibilité de discuter anonymement entre confrères,
(leur vraie identité n’étant connue que de Sermo), au sein d’un site
sécurisé. Leurs échanges portent sur leurs observations
épidémiologiques, des options de traitement, de la pharmacovigilance,
et leurs conditions d’exercice.
D’autres communautés de médecins ont été créés aux États-Unis depuis
10 ans, mais Sermo semble avoir davantage capté l’attention des médias,
alors qu’elle est encore la plus petite. Les autres étaient-elles moins
bien organisées, n’insistant pas sur l’échange anonyme ?

Les revenus de Sermo viennent de la réalisation d’enquêtes
(anonymes), voire de la possibilité de lire les verbatim anonymes : ses
clients incluent la FDA, le Center of Disease Control, l’American
Medical Association, les laboratoires Pfizer.
Les codes d’éthique, la gestion des conflits d’intérêts, la
protection des données nominatives sont essentiels dans la réussite de
Sermo, mais rien ne s’oppose au développement en Europe de communautés
de médecins organisées de la même façon et aussi puissantes.
Bases encyclopédiques professionnelles
Radiopaedia.org est un site bénévole de type « wiki »
qui cible les professionnels de la radiologie. Idée d’un homme,
Radiopaedia, ouvert depuis décembre 2005, accueille toute personne qui
souhaite apporter en contribution des textes, des cas cliniques, des
images. L’inscription est ouverte à tous, le site aussi. L’objectif est
de créer une base de connaissances toujours enrichie et améliorée,
remplaçant l’achat de livres et permettant la correction permanente de
connaissances périmées ou erronées .
Les communautés ouvertes
Les patients, familles et professionnels n’ont pas attendu le Web
2.0 pour se rassembler en communautés, par pathologie, sur le Web et de
générer leur propre contenu. Psych Central (maladies mentales /
troubles comportementaux) et ACOR (les cancers), les plus marquants,
existent depuis 1995.
Psych Central,
créé par un médecin sur ses propres fonds et financé par des
partenariats et publicités Google, comporte deux communautés, l’une
consacrée aux difficultés quotidiennes et l’autre aux maladies
neurologiques. Les utilisateurs bénéficient de forums, de blogs,
d’évaluations de médicaments par les utilisateurs, du partage de
videos, de la possibilité de retrouver des patients qui ont les mêmes
préoccupations.
ACOR,
fondation à but non lucratif, a été créé par un ingénieur français aux
États-Unis, lorsque son épouse a fait l’objet d’une décision
thérapeutique majeure erronée, afin de permettre aux personnes
concernées par le cancer de bénéficier de l’intelligence de la
collectivité, grâce à la messagerie électronique. Acor héberge 159
mailing lists dédiées aux différents cancers, permettant à des milliers
de patients et professionnels de collaborer et est devenu la référence
de la collaboration électronique entre patients et professionnels.
Parmi les communautés américaines significatives créées depuis l’irruption du Web 2.0, citons :
DailyStrength la plus importante,
Organized Wisdom qui propose des fiches rédigées par des guides humains,
Patients Like Me qui rapproche des « patients qui se ressemblent »,
RateMDs qui permet l’annotation des médecins par les patients,
Et aussi Revolution, de l’ex-fondateur de AOL, qui associe portail et social networking, TuDiabetes, WellnessCommunity...
Patients Like Me, pour le moment consacré à trois maladies, est la
contrepartie « patient » de Sermo, puisque les participants tiennent un
registre public (sous pseudonyme) de leur état, de leur traitement, des
résultats et effets secondaires... Et c’est peut-être le plus original
de tous les sites communautaires dans sa conception.

Certes, les patients font état de leur vécu, mais c’est également le
cas lors de l’interrogatoire par l’investigateur au cours d’un essai
clinique...
Et les réalisations européennes ?
L’Europe propose le même genre d’outils mais en nombre plus réduit.
Ils sont souvent plus difficiles à repérer, car ils sont moins décrits
et moins bien référencés. À son actif, la Commission Européenne a
beaucoup contribué à faire connaître les outils de ceux qui ont cherché
à entrer en contact avec elle.
Bien référencé et connu du milieu, Medicalistes , créé par un médecin généraliste en Bretagne (et MMT de surcroît ! [3]),
héberge des listes médicales de discussion, certaines ouvertes aux
patients et professionnels, d’autres réservées aux professionnels.
Medicalistes héberge, entre autres, les listes d’Eurordis http://www.eurordis.org,
l’organisation européenne de maladies rares, qui propose depuis
décembre 2005, la création de communautés de patients en Europe, par le
biais de ces listes de discussion.
OrphaNet
est un autre précurseur européen dans la création de communautés en
ligne, animant une base de données électronique de centres de
compétences pour les maladies rares et mettant à disposition des
associations de patients des outils Internet.
NetDoctor,
site commercial fondé depuis une dizaine d’années, propose des forums
patients, localisés par pays, au Royaume-Uni, en Scandinavie, Espagne,
Autriche.

Patient Opinion,
plus récent, est l’inspiration d’un médecin britannique qui voulait que
ses concitoyens puissent s’exprimer à propos des services hospitaliers
locaux. Au dernier passage, il y avait sur ce site de la NHS, 999
remerciements et 472 expressions de « soucis ».
BlogFMC http://www.blogfmc.fr, est un blog multi-auteur pour médecins français, alliant l’expression individuelle et l’échange en communauté.
Le thème est très français, car la formation médicale continue
représente en microcosme les grands dilemmes de la médecine française
du XXIème siècle.
Où trouver le temps pour améliorer la qualité ? Qui finance ? Qui
évalue ? Quelle responsabilité légale ? Qu’en sait le patient ?
Quelle synthèse ?
La France, l’Europe doivent créer les outils Web 2.0 de Santé qui
correspondent à leur culture et à leur contexte socio-économique. La
sagesse collective communautaire est un principe fondateur de la Web
Santé 2.0. La connaissance n’appartient pas qu’aux experts : le patient
doit se l’approprier pour agir en adulte et mieux se soigner ; le
médecin n’est pas non plus confiné dans une hiérarchie de spécialistes
basée sur des titres et grades.
Les établissements de soins, comme les professionnels, doivent
publier leurs évaluations. Et le consommateur peut exprimer son avis
concernant les soins reçus. Ces principes de diffusion des
connaissances et des avis, d’assouplissement des rôles se heurtent à un
autre principe fondateur, celui de l’État providentiel qui organise,
qui garantit l’égal accès aux soins de qualité, qui ne publie pas, lui,
des évaluations détaillées, et qui tolère mal la publication de données
comparatives privées, sans compter le point de vue des organismes
professionnels qui ne sont pas tous en faveur de la transparence des
évaluations...
On peut penser cependant que le vieillissement de la population, les
coûts qui explosent, la démographie médicale (en France), l’exigence
plus forte des consommateurs vont tous dans le sens d’une rupture avec
les pratiques de la période pré-Internet, redéfinissant les métiers de
la Santé et participant à l’évolution de tout le système. Des sites
ouverts font état des pôles d’excellence par spécialité en Europe. Des
forums permettent aux jeunes mères de comparer leur expérience dans les
cliniques de maternité. Toute personne peut voir les travaux de
recherche publiés par les équipes hospitalières.
Les débats concernant la propriété des données du dossier médical
personnel pour difficiles qu’ils sont montrent que l’usager entend
quelque part gérer ses propres données médicales, ce qui est quand-même
la base du Web 2.0 appliqué à la Santé.
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