Côtoyant Gilles Frydman depuis 1997 dans la mouvance de l’Internet Santé,
où ils ont été, entre autres, cofondateurs de la Coalition Internet Santé de
Washington DC (qui n’existe plus), Denise Silber est heureuse d’être co-auteur
de ce texte qui permet de comprendre l’œuvre et l’impact d’ACOR.
Les origines d’ACOR
ACOR a été crééé en 1995, à l’époque où l’accès à l'Internet n’était pratiqué que par une petite minorité de la population ...
notamment issue des universités. Gilles Frydman sortait alors d’un épisode familial qui lui avait
montré à quel point il était important pour les patients de pouvoir communiquer
avec d’autres patients et avec les professionnels, afin de défendre leurs
propres intérêts médicaux. Il s'agissait en l'occurrence de l'épouse de Gilles, Monica, qui avait, par malchance, rencontré un médecin "je-sais-tout" qui, en 10 minutes, montre en main, avait annoncé un diagnostic de cancer et proposé un traitement lourd et inadapté -- sans discussion possible. Gilles est allé sur internet, alors que nous étions en 1995, a trouvé la liste électronique du cancer du sein et la suite était toute autre. C'est pourquoi on peut très sincèrement dire que sans Monica, ACOR ne serait pas né.
Il y avait
certaines similitudes entre cette recherche d'information et alternatives et celle des mouvements libéraux de
la société américaine et européenne des années 60 et 70. En 1995, les termes
« e-patient », la « médecine participative » n’existaient
pas. L’autonomie du patient par rapport à l’establishment médical était à créer
de toutes pièces.
Rappelons que le concept de contrôle de la qualité des pratiques
médicales était peu répandu dans la pratique. Avant l'Internet, l’actualisation
des connaissances était difficile à assurer. En théorie, seule l’information
sur les pratiques médicales « acceptées » était diffusée, mais la
qualité de ce qui circulait n’était pas vraiment garantie, car il pouvait se
passer des années avant que les médecins n’accèdent à certaines mises à jour,
et plus encore avant que les patients ne puissent être au contact de ces informations.
Le seul exemple des médicaments faisant l'objet d'essais cliniques permet de
démontrer ce point.
Aidé au départ par des bénévoles appartenant souvent aux professions
scientifiques, ACOR a franchi une étape essentielle en 1996 avec l'apparition
de PubMed. Richard Klausner, directeur du National Cancer Institute et Barbara
Rimer, directrice adjointe, ont érigé alors en priorité nationale aux
États-Unis la communication sur le cancer. La scène était prête pour le
décollage d’ACOR.
Comment fonctionne ACOR ?
ACOR est un
système organisé de communautés en ligne dans le domaine des cancers (au
pluriel), avec des groupes par maladie et d'autres sur des thèmes transversaux,
(effets secondaires, patients jeunes, essais cliniques...) Ces groupes
fonctionnent par email. Chaque liste de discussion est gérée par un ou
plusieurs bénévoles qui ne sont pratiquement jamais des professionnels de
santé, mais qui sont capables de comprendre les articles scientifiques et
savent utiliser des ressources documentaires comme Medline (PubMed). La
stratégie d’ACOR est simple : fournir un système d’informations médicales
actuelles, de haute qualité et personnalisées, et tout cela dans un
environnement propre au soutien psychologique.
Les patients
s'expriment en continu sur leur traitement et leur vécu — tout en sachant que
d'une part chaque cas est unique, et que d'autre part il y a beaucoup à gagner
à partager les expériences de chacun. Les participants posent aussi beaucoup
des questions, font de l’entraide, et tous ces échanges sont archivés.
Toute information
de type scientifique et tout conseil médical doivent être référencés dans
PubMed. Tous les jours, des membres des listes citent des publications
scientifiques pertinentes, diffusent ainsi les bonnes pratiques, ce qui est
nécessaire puisqu’elles évoluent constamment.
Pouvoir accéder,
en continu, aux informations de pointe sur le développement scientifique
concernant précisément la maladie dont les personnes souffrent est d’un
bénéfice incalculable. De plus, le langage employé, rejetant autant que
possible le jargon, rend les conversations entres membres d’un groupe beaucoup
plus faciles à assimiler.
Les listes les
plus actives sont celles où les bénévoles sont les plus informés sur la
maladie, qu’ils soient patients ou leurs proches, voire des médecins devenus
patients. Parmi ces bénévoles « proches », un certain nombre continue
à participer pour aider les autres, même si le patient dont ils se sont occupés
au départ est décédé depuis des années.
Quant aux médecins
devenus patients, leur
comportement est très différent du médecin traitant dans son rôle d’expert où
il peut difficilement sortir de son métier. Prenons l’exemple des trois principaux types de traitement : chirurgical, médical,
radiothérapie. Un chirurgien oncologue proposera plus facilement le premier, un
médecin oncologue le second et un radiothérapeute le troisième. Les médecins
devenus patients, ayant appris tout ce qu'il peuvent sur leur maladie, y compris,
en dehors de leur spécialité, entreprennent de partager cette connaissance avec
d'autres patients et deviennent des canaux uniques de transmission entre
médecins traitants et patients. Ils remplissent le rôle de traducteur permanent
permettant aux patients nouvellement diagnostiqués de comprendre plus
rapidement les questions importantes pour lesquelles ils doivent obtenir des
réponses précises. L’empathie de ces professionnels est en quelque sorte
agrandie et leur permet de dépasser le comportement du médecin « de métier ».
Comment faire pour que les professionnels en exercice puissent agir de la même
sorte ? Cela fait partie des recherches d’ACOR.
ACOR en chiffres
ACOR, c’est 159
listes publiques plus une cinquantaine de listes privées. Il y a entre 60 et
3 000 personnes par liste, soit collectivement plus de 60 000
personnes. Et environ 4,5 millions de messages archivés. Plus de 650 000
personnes ont utilisé le système depuis sa création. C’est donc, à notre
connaissance, la plus grande collection de récits ou « narrations »
de patients dans le domaine du cancer.
Comme dans la
plupart des communautés en ligne, seuls 15 % des membres écrivent et
participent activement alors que les autres 85 % ne font que lire. Il est
évident que ces 85 % d’abonnés silencieux en tirent des bénéfices
puisqu’ils restent souvent inscrits sur les listes pendant des années.
Quelques exemples de l’effet du réseau
Suivent
plusieurs exemples du rôle bénéfique de la participation aux listes ACOR, qui permettent :
-d’orienter le
patient vers un traitement ou un établissement plus adapté dans un minimum de temps
-d’accélérer le
recrutement pour les essais cliniques
et
-de faire, tout
naturellement de la pharmacovigilance sur des problèmes vitaux.
· En 1997, ACOR a créé, à la
demande d’une patiente experte, une liste spécifique pour les survivants à long
terme de lymphomes non hodgkiniens et de la maladie de Hodgkin (survivants à
long terme de traitements datant de plus de 30 ans). En ce temps-là, personne
ne parlait d'effets secondaires pouvant surgir 30 ans ou plus après la fin des
traitements. Les médecins n’étaient tout simplement pas au courant. Cette
patiente experte avait failli mourir d'une complication cardiaque à retardement
et s’était aperçue qu’elle n'était pas seule dans ce cas. Le but original de
cette nouvelle liste était donc d’être un « système d'alarme avancé »
permettant de mettre en garde les patients se plaignant de problèmes cardiaques
et recevant des conseils inadaptés de la part de leurs médecins traitants qui
ne comprenaient pas l’urgence de la situation, car ils n’avaient aucun élément
d’information scientifique leur
permettant de savoir. À de nombreuses reprises, Gilles a ainsi été témoin de
personnes arrivant sur la liste, faisant part de symptômes précis et recevant
le conseil de se diriger immédiatement aux urgences de l’hôpital le plus
proche, car elles risquaient de présenter un accident cardiaque si elles
n’étaient pas soignées rapidement. Aujourd'hui, ces effets à long terme des
traitements sont connus, la liste a donc évolué et ses échanges portent sur
d'autres sujets.
·
Rappelons aussi le cas très connu de la liste « rein » où le
scénario suivant s’est reproduit des milliers de fois depuis 13 ans. Un patient
nouvellement diagnostiqué s'adresse à un établissement particulièrement réputé,
pensant naturellement qu’il va y recevoir les meilleurs avis. Or il s’avère que
cet établissement ne mentionne et ne propose jamais le seul traitement offrant
à certains cas particuliers une possibilité de vivre sans rechute pendant de
très nombreuses années. Vu que ce traitement ne peut avoir un effet
maximal que s’il est le premier reçu, on comprend bien comment le fait pour ces
patients d'avoir cette information peut avoir des conséquences considérables
sur la durée de leur survie. On ne compte plus le nombre de patients qui ont immédiatement pris
conseil dans un autre établissement de la ville où ce traitement est
disponible.
·
ACOR a repéré les problèmes des inhibiteurs de la COX–2, avant qu’ils ne
soient publiquement identifiés.
·
Suite à l’accord donné par la FDA (Food and Drug Administration) pour un nouveau traitement à administrer
sous forme d’injection sur 15 minutes, nous avons vu, sur une liste, un nombre
grandissant de patients parler de leurs expériences négatives avec ce
médicament. En quelques mois plusieurs patients sur la liste ont signalé qu’ils
avaient failli mourir par insuffisance rénale aiguë et des personnes de
l'entourage ont fait part du décès de leur proche pour la même raison. Le
gestionnaire bénévole de la liste a rapidement contacté des experts qui ont
immédiatement recommandé l’allongement de l’injection sur 30 minutes. Cette
recommandation a été publiée sur la liste, accompagnée des instructions à
donner à tous les médecins traitants. Ces instructions ont précédé de plusieurs
mois les mêmes recommandations faites officiellement par la compagnie
pharmaceutique.
·
L’ostéonécrose de la mâchoire ayant été rapportée comme un effet secondaire
d’un nouveau traitement, des membres non médecins ont suggéré d’éviter toute
intervention dentaire invasive et cela s’est révélée juste. Pour apporter cette
connaissance au monde médical, les volontaires d'ACOR, travaillant en tandem
avec des experts médicaux, ont fait un sondage en ligne. Obtenant des réponses
de 904 patients en 30 jours, grâce à l'utilisation de plusieurs listes, ils ont
trouvé 62 cas d’ostéonécrose, et les résultats ont
été publiés dans des revues médicales de premier plan, comme le New England
Journal of Medicine, ainsi qu’à la conférence
annuelle de la société américaine d’hématologie (ASH) et au sein du comité consultatif du FDA
pour les médicaments oncologiques (ODAC).
·
Il y a deux mois, la liste cancer du rein voit passer un message à 8 h
du matin : « J'ai besoin d’une réponse de suite. Je prends tel
traitement (pour le cancer du rein). Je me suis réveillé ce matin, tous mes
cheveux et poils de mon corps sont blancs... J’ai cherché sur Google, les sites
de la FDA, de la compagnie pharmaceutique et je n’ai rien trouvé ! Y
a-t-il quelqu’un à qui c’est arrivé ? ». En quelques heures 5 personnes sur les 2 000 membres du
groupe ont répondu « Ne t’inquiète pas. C’est un effet du traitement X.
Tout rentrera dans l’ordre après l’arrêt du traitement. » Selon toute
probabilité statistique, le médecin traitant de ce patient n’a pas entendu
parler de ce problème spécifique, un effet rare, et n’aurait pu le rassurer.
De l’importance des conversations
Il devient vital que chaque pays favorise à la fois l’éducation sanitaire
de ses citoyens et leur liberté d'expression.
·
Notre capacité individuelle à analyser les données est totalement dépassée
par notre capacité à les produire. Pubmed en 1999, c’était 9 millions de
citations d’articles. Aujourd’hui ce chiffre dépasse 19 millions et augmente de
80 000 chaque mois.
·
La chronologie des essais cliniques n’est plus cohérente par rapport à la
transmission actuelle de l’information. Il se passe plusieurs années entre la
conception et la publication d’un essai clinique. Or les patients parlent sur
les listes ACOR de leurs expériences durant l’essai clinique ; les études
en double aveugle n’existant plus vraiment, il faut revoir les procédures, afin
d’assurer le plus grand bénéfice pour tous les patients.
Il est clair, après quinze ans d’expérience, qu’un nombre grandissant de patients ont compris qu’ils
peuvent apprendre énormément sur la gestion de leurs problèmes de santé ou même
des problèmes ayant un impact sur leur qualité de vie, simplement en suivant et
en intervenant dans des conversations entre patients.
Nous voyons ici et là dans le monde de l’intérêt pour des initiatives comme
celle d’ACOR…En Europe, Eurordis, deux ans après la rencontre d’ACOR, a
créé une plateforme de listes pour patients atteints des maladies rares. ACOR
collabore avec un ensemble d’organisations de santé pour aller dans le sens de
l’augmentation continue du champ du possible pour les groupes de patients
experts. Visitez ACOR http://www.acor.org
Merci. Très bon article, Denise.
Rédigé par : Miguel A. Tovar | 13/03/2013 à 16:38