Si tous les "systèmes" de santé du monde partagent un même objectif, celui de bien soigner la population, leur réglementation, leur organisation sont à ce jour nationales. Cette réglementation qui permet d'organiser l'offre de soins de telle ou telle manière est le fruit de l'histoire du pays, laquelle histoire est-elle même dépendante de la donne nationale (la démographie, la génétique, l'environnement, les maladies, la culture, les ressources, la volonté politique, et j'en passe).
En même temps, vus de loin, les systèmes de soins des pays développés se heurtent à
des problèmes similaires, ... des ressources insuffisantes, des déficits, une qualité inégale -- d'où l'intérêt du "benchmarking" qui permet
de voir si telle ou telle solution adoptée ailleurs peut être
bénéfique. La récente conférence Santé 2.0 Europe est un exemple de l'intérêt de la rencontre entre innovateurs où nous avons vu un foisonnement de propositions européennes.
Le Figaro du 20 Mai fait état d'une nouvelle mission d'étude benchmarking en cours au Ministère de Santé. Cette mission examinerait le principe d'un portail santé officiel unique sur internet, doublé d'un numéro de téléphone national, à la mode de NHS Direct, mais en France. L'objectif d'un tel portail serait de résoudre de nombreux problèmes à la fois. L'article en cite quatre : a) assurer la mise à disposition d'informations de qualité, c'est à dire en ligne avec les référentiels de bonnes pratiques b) réduire les inégalités d'information puisque tout le monde aurait accès aux mêmes informations c) désengorger les services de garde des hôpitaux en permettant l'accès à des conseils de santé dispensés par une infirmière, voire à une consultation médicale à distance ou encore à la prise d'un rendez-vous programmé avec un professionnel de santé d) réduire la surconsommation de médicaments.Tout en sachant que le portail ne serait pas nécessairement une variante de NHSDirect, ce dernier a été cité. Il est donc intéressant de savoir en quoi consiste NHSDirect. (cliquez pour + d'infos)
NHS Direct a été créé en 1997 en Angleterre, sous la forme d'un service téléphonique qui a commencé par un pilote puis a été étendu à tout le pays au bout de plusieurs années. Le site web NHS Direct a été lancé, lui aussi, sous une forme basique en 2000 et complété depuis.
Quels sont les chiffres actuels ?
- NHS Direct reçoit 1,5 millions de visites par mois soit 18 millions de visite par an pour la partie information.
- Il y a 9 millions d'appels par an dont 5 millions pour de l'information et 4 millions pour d'autres services. 20% des appels sont pour des urgences.
- Il y a environ 75 000 appels par semaine pour obtenir des consultations dans un établissements de soins.
- Une étude réalisée en 2008 a montré que parmi les appelants, 41% ont été conseillés de rester chez eux et sur ces 41%, les 3/4 avaient l'intention soit d'aller aux urgences, soit de voir un professionnel de santé.
- Le taux de satisfaction est élevé (1 plainte sur 10 000 appels).
Que savons nous des coûts :
L'infrastructure est conséquente : NHS Direct emploie un effectif de 3 400 dont 1 400 infirmiers; les salariés sont situés sur 34 sites physiques dans tout le pays, afin de pouvoir répondre précisément par rapport à la région. Ces centres, sur le plan informatique, sont réunis en un seul que j'ai eu l'occasion de visiter à ses débuts.
Une étude anglaise réalisée en 2008 a situé le coût de gestion d'un appel à 25 livres, soit le coût de la visite par un patient à une consultation. (Toutefois, si cet appel évite une visite inutile aux urgences, cela doit modifier le calcul).
Que dire au vu de ces éléments par rapport à la France?
Il n'est pas inintéressant d'étudier le scénario anglais, même si ce n'est pas le seul exemple intéressant ; Quelques autres observations :
1) NHS Direct évolue et s'améliore depuis plus de 13 ans. Les départements qui travaillent dessus ont accumulé beaucoup d'expériences. Mais, ces services ont été créés à une époque différente. Le NHSDirect proposait alors des écrans tactiles de type "kiosque" que le NHS dévait placer lui-même dans des lieux publiques. Maintenant les écrans sont omniprésents. Le smartphone ou iPhone est diffusé à une vitesse extra-ordinaire. Les médias sociaux et le 2.0 n'existaient pas non plus...etc, etc
2) Le site universel et unique n'existe pas sur Internet, par principe. Les services du NHS, pour satisfaisants qu'ils soient, ne sont pas utilisés par tous les Anglais, même si 90% sont maintenant conscients de leur existence. De nombreux autres sites sont consultés qu'ils soient britanniques ou tout simplement en anglais..
3) Quel délais pour la mise en oeuvre et intégration par la population française ? Même si nous gagnons beaucoup grâce aux progrès réalisés par rapport à 1997, on n'imagine pas une mise en oeuvre en moins de la moitié (c'est à dire 5 à 6 ans) et encore plusieurs années pour le faire connaître. (Ce n'est pas une raison pour ne rien faire, mais il faut le savoir)...Evidemment, si cela devenait une obligation, cela accélérerait les choses.
4) Le portail "médicament" présenté par le Ministère de la Santé en mai 2009, et dont nous avons parlé à l'époque, est resté, autant que nous le sachions, au stade d'une page avec 3 liens, 1 envers le site de l'Afssaps, 1 envers la base de données médicaments utilisée par la CNAM, 1 envers le site de la HAS. Aucun de ces 3 sites ne bénéficie d'une ergonomie que les Français sont en droit d'attendre. Un professionnel arrivera à s'en servir par obligation, mais les résultats en matière de fréquentation sont là pour témoigner du peu de popularité. Or la mise à disposition d'une base de données intégrées autour du médicament aurait pu représenter un premier joli défi de réalisation.
Nous devons porter, sans relache, notre attention à toute une série de leviers qui impactent la santé des populations, en dehors de l'organisation des soins, la mise à disposition de traitements innovants, la formation initiale et continue des professionnels
- le sport, la nutrition, les moyens de lutte contre le stress, la pollution, la prévention ...
- le suivi des patients chroniques y compris à distance (voir plus loin systèmes d'information),
- les systèmes d'information dont la télémédecine, le télémonitoring, le dossier électronique, la prescription électronique, le code barre à l'hôpital,...
- une organisation qui responsabilise les professionnels, les usagers, et les innovateurs, afin que s'instaure de plus en plus un esprit collaboratif de type Santé 2.0...
Le fait est que les organisations d'état n'ont pas été conçues pour aller vite. Les grandes structures américaines qui ont réussi sur le Web sont tombées dedans depuis tout petit : qu'il s'agisse de la FDA, du CDC, de Pubmed/Medline. Tous les 3 ont publié des générations successives de site et continuent d'évoluer, en investissant les médias sociaux, par exemple, alors que cet univers est encore peu fréquenté par les institutionnels en France.
Comme nous venons de le voir, le sujet est complexe. Le principe de la mise en oeuvre d'un numéro d'appel national et des informations "officielles" mérite d'être examiné...sans sous-estimer l'intérêt d'autres solutions européennes-- tel outil de questions/réponses, telle fiche d'auto-gestion, telle possibilité de feedback pour les patients...
Débattons tous lors du "tweet-up" organisé par le Chapitre Health 2.0 France hashtag: #health20fr et avec le soutien de l'AQIS, le 31 Mai à 17h. La transcription des échanges sera disponible.
Commentaire de Clare McKitrick
An interesting post Denise - I work for Digital Public, and we've helped NHS Direct develop and implement online tools that patients use to triage their own symptoms. Our evidence shows that in an age when Googling your symptoms is endemic, there is a key place for trusted, well-evidenced online services that help patients work out what to do next - whether that's have a webchat with one of NHS Direct's nurses, visit their GP or take a couple of painkillers and rest. So while NHS Direct started as a telephone-based service, they are now spearheading online service innovation and achieving great results with it - both for patients and in terms of effiency. If France were to adopt a similar concept, it would present a great opportunity to start with a 'web first' assumption, preserving the more intensive channels like telephony or face to face contact for those patients who really need it.
Rédigé par : Clare McKitrick | 01 June 2010 at 19:41
Rédigé par : Denise Silber | 01/06/2010 à 22:49
Merci Denise ! Le tweetup fut effectivement un très bon émulateur d'idées. Et j'en ai mis quelques unes par écrit pour prolonger la discussion: http://ow.ly/1Su5j
Rédigé par : Xbrochart | 01/06/2010 à 16:46
Le tweet-up a permis de poser beaucoup de bonnes questions. La formule d'article de fond, thème qui concerne tout le monde a été payante.
Rédigé par : Denise Silber | 31/05/2010 à 22:48
Analyse pertinente montrant que la mise en oeuvre de ce projet, certes très séduisant, risque de ne pas être facile. Cependant, la mise en place d'une plate-forme de conseils médicaux en l'absence d'une antériorité aussi riche et longue que celle de certains sites anglophones n'est pas obligatoirement un défaut rédhibitoire. Pourquoi ne pas réinventer le conseil médical sur Internet ? Par contre, le succès de cette entreprise nécessite de fédérer les projets existants. En faisant appel aux acteurs de la santé 2.0 qui ont su montrer leur dynamisme et leur capacité d'innovation, le ministère de la santé pourrait réussir à tisser de nouveaux liens avec le grand public.
MesVaccins.net.
Rédigé par : MesVaccins | 31/05/2010 à 00:24