"Les Français ne sont pas des veaux ! " :
l'intérêt de la certification des sites internet santé n'est pas nécessairement celui que vous pensez.
Depuis que le web existe, il ne manque pas d'observateurs pour se plaindre du fait que "n'importe qui" peut dire "n'importe quoi" sur le web et que donc par définition les internautes grand public vont être lésés.
Or, à quelques jours du soixante-dixième anniversaire de l'appel du 18 juin, et malgré l'incertitude de cette citation du Général De Gaulle (veaux/dévots), je l'invoque volontiers. Les Français ne sont pas des veaux. Les citoyens des autres pays non plus. Ils n'ont pas besoin d'être protégés des informations "non-officielles". L'être humain ne prend pas des décisions opérationnelles à la légère. Il est cependant utile de disposer d'un outil comme celui du HONCode, car la certification améliore l'internet en contraignant les sites à fournir des informations basiques concernant l'origine du site, ses références, sa mise à jour, ... que même les sites sans conflit d'intérêt ne fournissent pas suffisamment.
Sous-entendu, l'internet est plus nuisible que bénéfique et il faudrait sauver les Français d'eux-mêmes, car ils seraient incapables seuls de discerner entre les bonnes et mauvaises informations.
Cliquer pour la suite des outils de certification...
C'est pourquoi montrer maintenant l'image de bande dessinée de 1993 lors d'une conférence de l'internet
santé plaît encore et toujours. Cette image des deux chiens fait-elle écho à la
pensée des professionnels confronté à un outil "démocratique."
Les débuts de la certification en France En 2000-2001, le Ministère de Santé ( Michel VIllac et coll.) et le Conseil national de l'ordre des médecins (André Chassort et coll) co-animaient des réunions régulières rassemblant institutionnels, professionnels, associations, conseils. J'en ai fait partie.
En 2001 ce groupe proposa la mise en oeuvre d'un "référentiel qualité e-santé" comportant des critères ressemblant étrangement à ceux du HONCode, qui existait déjà.
1) Transparence sur la nature et l'identité des responsables du site
2) transparence des pratiques publicitaires et du sponsoring
3) transparence dans la gestion des liens
4) transparence sur la qualité des intervenants
5) qualité des pratiques rédactionnelles
6) qualité des pratiques médicales
7) protection des données à caractère personnel et
8) relation avec une future association pour la qualité des sites e-santé qui serait chargée de former et d'informer les internautes ainsi que de surveiller les manquements.
Comment les examinateurs allaient-ils pouvoir juger de la qualité des pratiques médicales, sans bénéficier de tout l'effectif et les ressources de la future HAS ? Et sur quel modèle économique ? On ne le sait pas.
Un second volet de ce premier projet français était de créer un référentiel avec la collaboration de l'Association française de l'assurance qualité; l'AFAQ devait réaliser un audit de qualité pour chaque site. Comment cet audit pouvait-il tenir compte de la nécessaire flexibilité du contenu d'un site web? Nous l'ignorons aussi. En tous cas, aucune de ces pistes n'a vu le jour, faute de ressources et de modèle économique.
Aux Etats-Unis, à peu près à la même époque, un organisme appelé l'URAC a lancé des audits approfondis de site web à raison de plusieurs milliers de dollars pièce, comprenant le déplacement d'une équipe d'inspection. Ce budget crée un système à deux vitesses, ce qui est inacceptable en France, sans compter le délais de réalisation.
La France n'avait pas été le seul pays à entreprendre ce type de démarche où un groupe d'experts se réunit et débouche sur un questionnaire qui doit être appliqué à un site, afin de déterminer sa qualité..
Des exemples internationaux (non-exhaustifs)
Rajoutons à cette liste les outils de contrôle de qualité non-spécifiques à la santé, sur internet. L'ensemble est de nature à créer un véritable jungle de logos sur le web.
Assortiment de logos et marques de qualité des sites
web (santé à gauche, généralistes à droite) |
Retour de la demande officielle en France
Mais, le sujet n'allait pas rester dans l'inaction longtemps. Dans la loi du 13 Août 2004, la Haute Autorité de Santé est chargée d'établir une procédure de certification des sites informatiques dédiés à la Santé.
C'était, vous l'aurez compris à ce stade de votre lecture, mission impossible, par rapport à la demande de fond d'éliminer les mauvaises pratiques au fur et à mesure de leur parution. Comment suivre tous les écrits ? Sur quelle base les éliminer ?
La demande des législateurs sous-entendait la volonté de maîtriser le contenu de l'internet santé consommé par les Français. Il fallait à la fois empêcher les internautes Français d'accéder à des informations non-Françaises et contrôler la qualité des informations françaises...en quelque sorte, une ligne maginot virtuelle vis à vis de l'étranger et à l'intérieur du pays.
Alors qu'aux Etats-Unis, le terme Web 2.0 est en train de naître, la France officialise une demande 1.0. Notons aussi que certains pays comme le Royaume-Uni, le Danemark, le Luxembourg avaient entre temps pris l'option de la création d'un portail national étatique offrant des services et informations santé. Rappelons aussi que PubMed ou Medline est un des sites les plus consultés dans le monde entier par ceux qui souhaitent des informations scientifiques.
Et pour revenir à la France, l'un des défis non résolus à ce jour est le manque d'ergonomie et d'attractivité des sites officiels--sans oublier l'intérêt l'échange et l'interaction avec les internautes. N'y aurait-il pas lieu de les améliorer sur ce plan, puisque la documentation de fond y est déjà ?
Un
nouveau groupe de travail est donc convié par la HAS. J'ai eu le
plaisir d'y participer, comme précédemment à d'autres groupes à Paris, à
Bruxelles, à Washington, à Heidelberg et à Berlin (voir tableau ci-dessus)-- ces groupes de
travail qui débouchent toujours sur une liste de principes auxquels les
sites doivent adhérer. -- jamais sur un jugement sur le fond..et qui a
rarement les moyens de la mise en oeuvre, ne serait-ce que de leur charte d'éthique. HONCode est l'une des rares exceptions dans ce domaine.
La commission qui s'est
réunie à la HAS n'est cependant pas tombée dans les pièges des
précédents. Nous avons
adopté, en le francisant, un texte du feu IHCC aux Etats-Unis,
destiné aux consommateurs: "Faites les bons choix" pour encourager
l'esprit critique des internautes.
Plus important, le groupe s'est prononcé en faveur d'une collaboration avec le HONCode, organisme qui avait déjà certifié 5 ou 6000 sites, dans de très nombreuses langues, dans le cadre d'un processus sans coût pour le webmaster. La Fondation HON a été favorablement auditée par des inspecteurs externes à la HAS. En Novembre 2007, le HONCode a été lancé en France. Et l'Association pour la Qualité de l'Internet Santé a réalisé deux colloques sur ces thèmes 2008 et 2009.
Les + du HONCode
- plus de 900 sites français sont certifiés depuis dans le processus (et des milliers non-français)
- la comparaison des sites certifiés et des sites non-certifiés montre que les sites non-certifiés ne satisfont pas les critères du HONCode ; le HONCode favorise la présence des informations qui forment la base de la nécessaire transparence : la date de la mise à jour, les noms des auteurs, etc...
- le HONCode pourrait servir d'outil de collaboration entre professionnels et patients
Les -
- le HONCode ne contrôle pas le contenu des sites, ce qui était le souhait "depuis toujours"
- le HONCode n'est connu que de la minorité des Français, professionnels ou consommateurs.
- Une part des processus est réalisée par des agents ou robots, ce qui est source d'imperfections
- La décision de certification est celle d'une organisation et non pas de l'intelligence collective.
- Le fait que les entreprises et organisations puissent faire certifier leurs sites est rejeté par certains
- La difficulté de savoir que l'expert est financé par une entreprise dont il soutient le produit est détaillé par Dominique Dupagne. Il pointe également le problème du financement indirect des associations et sociétés savantes, cette question dépassant le domaine de l'internet.
Examinons un instant la question suivante : Pourquoi la conférence de presse de la HAS et les collloques réalisés grâce à l'Association pour la qualité de l'internet santé, l'AQIS n'ont-ils pas suffi pour faire connaître le HONCode par la majorité des Français ?.
Manifestement cette thématique de la certification des sites n'est pas portée par les internautes, de façon virale.
Et pourquoi ?
Sommes-nous certains que les Français manquent d'aide ? Comment
font-ils par rapport à leur décisions de santé ? Ce n'est pas une page
web isolée qui les décide. D'abord, ils regardent plusieurs pages lors
d'une séance internet; d'autre part, ils en parlent avec leur entourage,
et ils en parlent à leur médecin qu'ils estiment !
C'est
la conclusion de l'étude réalisée au printemps 2010 par l'IPSOS à la
demande du Conseil national de l'ordre des médecins. 1014 personnes de 15 ans et plus ont été
interrogées par téléphone en avril 2010 au sujet des effets de l'usage
de l'Internet sur la relation patient-médecin . Pour 89 % des sondés c'est le médecin
qui est la première source d'information de santé, suivi de près par
l'Internet, puis par le pharmacien (64 %), la télévision (55 %), les
magazines et les livres (33 %), enfin la radio (32 %).
Au total, les Français ne sont pas des veaux qui obéissent aux ordres de la première page web venue, ni au dernier qui leur parle !
D'autre part, le HONCode apporte l'intérêt d'obliger les sites (quel que soit leur statut) à faire état de certaines informations de base qu'ils n'auraient pas indiquées autrement.
Cela pourrait aller plus loin encore certainement, et c'est ce qui va peut-être sortir du débat actuel. Il n'est pas exclus que l'on demande aux sites d'être plus précis au niveau du détail de leur financement. Mais, de là à penser que le HONCode pourrait répondre totalement aux deux demandes qui lui sont faites - a) de juger les informations sur le fond et b) d'éliminer les acteurs ayant des intérêts commerciaux de l'internet de santé, c'est encore tôt. Quant à l'existence d'un intérêt particulier, il n'y a pas que ceux des industriels : les payeurs souhaitent dépenser moins, les professions de santé vivent de l'existence de la maladie, le patient individuel ne peut se préoccuper de la Santé publique...On reproche à certaines associations de maladies rares d'attirer trop d'intérêt (et de fonds) à leur problématique.
Rappelons aussi et surtout que nous sommes entrés dans l'ère de la décision médicale partagée.
La responsabilité doit désormais être portée par le couple professionnel/patient dans l'intérêt de tous. Il faut donc des outils d'information et de collaboration entre Acteurs de Santé. On peut dire que tout ceci existe sur le web puisqu'il y a des informations et des outils, mais il y a encore des améliorations à apporter
Espérons ardemment que la réflexion estivale du projet de portail officiel ira dans le sens du collaboratif et de l'intelligence collective ! Et que l'on admettra aussi que l'Internet encourage la diversité, par définition. Il n'y aura jamais une seule réponse sur le web, quelle que soit la question. A côté de NHS Direct, les Anglais consultent des milliers d'autres sites...n'est-ce pas !
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