En cette journée de réflexion concernant le don d'organe, je voudrais exprimer toute mon admiration -- oui, c'est le terme -- pour le travail d'Yvanie Caillé et celui de toute l'équipe de Renaloo qui fait un travail remarquable sur trois plans : a) la mise à disposition d'informations et d'actualité, b) la création d'un lieu d'échange entre patients, aidants et professionnels, et c) par "Les Etats-Généraux du Rein" la mise en oeuvre d'une rencontre sur 18 mois devant générer des propositions qui vont améliorer la vie des patients. Ces actions portent sur les maladies rénales, mais le travail de Renaloo est un modèle pour les maladies chroniques.
Combien de personnes en France pensent que l'enjeu s'arrête à la mise à disposition d'information médicale de qualité ? Elle est nécessaire mais ô combien insuffisante. Elle périme, elle manque d'interprétation, de personnalisation, d'échange, de débat, d'appropriation... tout simplement d'avenir.
Lisez l'interview qui suit pour connaître le parcours d'Yvanie à Renaloo et aux Etats Généraux du Rein. Et n'hésitez pas à visiter Renaloo , qui a récemment été relancé.
1/ D.S. Pouvons-nous commencer par ton parcours médical
Y.C. On a découvert ma maladie de Berger, une maladie rénale auto immune, lorsque j’avais 12 ans. J’ai eu durant mon adolescence différents traitements, pour tenter d’en ralentir d’évolution. Mais globalement elle était assez silencieuse et j’ai pu mener une vie relativement normale, suivre mes études, etc.
Elle s’est aggravée progressivement pour parvenir au « stade terminal » (ce qui signifie que mes reins ne fonctionnaient pratiquement plus, en tout cas pas assez pour me maintenir en vie) lorsque j’avais 28 ans. J’ai dû être dialysée, en urgence, dans des conditions difficiles. J’ai eu beaucoup de mal à accepter ce bouleversement dans ma vie. La dialyse, c’est une demi journée de traitement, trois fois par semaine. Et le reste du temps on ne peut pas dire qu’on soit au top…
A cette période et pour la première fois dans mon parcours, je me suis tournée vers internet pour chercher les informations qui me manquaient tant, à la fois médicale, sociales, mais aussi d’entrer en contact avec d’autres patients. Mais le web du début des années 2000 était un peu désertique en matière de e-santé ! J’ai trouvé quelques sites aux US, notamment celui d’un jeune garçon, John F. Martin, qui avait le même parcours que moi, l’avait vécu un peu plus tôt et l’avait raconté sur son site . Il m’a été extrêmement précieux et il m’a beaucoup rassurée.
Quelques temps plus tard, j’ai pu recevoir le rein donné par ma maman. Cette greffe a immédiatement très bien fonctionné. Je l’ai vécue comme une renaissance, retrouvant très vite une santé et une forme que je n’avais pas connues depuis des années. C’était il y a 10 ans et aujourd’hui, tout va très bien, mes seules contraintes sont de prendre un traitement antirejet quotidien et de me plier à un suivi médical régulier…
2/De ce parcours médical, à quel moment as-tu décidé de créer ton blog, qui est, je crois le début de la communication ? Et de là à un site à part entière ?
Dans les semaines qui ont suivi ma greffe, alors que j’étais en pleine convalescence, j’ai eu envie de « renvoyer l’ascenseur » en ayant la même démarche que John F. Martin, mais en français. Je n’avais aucune compétence en développement de site web et les blogs n’existaient pas (ou en tout cas je n’en avais pas entendu parler). Je me suis dit que c’était une bonne occasion d’apprendre ! J’ai bricolé un site très artisanal, j’ai rédigé un témoignage et j’ai demandé à mes proches de faire de même. Le tout a été mis en ligne, sur un hébergement gratuit, en septembre 2002. Initialement le site s’appellait irct.free.fr (IRCT pour insuffisance rénale terminale, pas très sexy comme url !!!).
Immédiatement, le site a rencontré beaucoup de succès, j’ai reçu des tas de mails de patients, de proches de patients. Le bouche a oreille a fonctionné. Les questions étaient nombreuses. Plutôt que de tenter d’y répondre individuellement, j’ai rapidement décidé d’ajouter des rubriques d’info au site. Un forum a aussi été mis en place, avec l’aide d’un internaute qui a su l’installer. Comme l’hébergement gratuit a vite trouvé ses limites, le site a migré fin 2002 et est devenu www.renaloo.com (c’était la grande époque de yahoo ! et les sites en –oo fleurissaient). Je faisais déjà appel à quelques médecins qui acceptaient de m’aider pour valider les contenus médicaux. Renaloo a obtenu le label HON, qui n’était pas encore celui de la HAS, dès février 2003.
Et il a continué son chemin, devenant toujours plus vaste et plus fréquenté…
3/ Et enfin à une association ?
En 2007, soit cinq ans après sa création, Renaloo ancienne version avait atteint ses limites : techniquement, graphiquement, il ne tenait plus la route. Il y avait aussi des failles de sécurité et le forum par exemple a été plusieurs fois piraté. Il fallait passer à une vitesse supérieure pour qu’il puisse poursuivre ses missions au services des patients et pour cela, trouver quelques financements pour que des professionnels puissent se charger de sa refonte. Les statuts de l’association Renaloo ont donc été déposés, ce qui a permis de faire appel au soutien des pouvoirs publics (une subvention de la DGS et une autre de l’INPES) ainsi qu’au mécénat d’un certain nombre d’entreprises et de fondations. Tout ça a plutôt bien marché et une nouvelle version de Renaloo 2.0 a vu le jour en 2009.
Ce que je n’avais pas anticipé, c’est que le statut d’assoce a aussi entraîné une modification des activités de Renaloo. Une petite équipe de bénévole s’est constituée. Des personnes qui se retrouvaient dans les valeurs de Renaloo et avaient aussi envie de les porter IRL. En plus du site, qui est devenu plus actif que jamais, on a commencé à mettre en place des actions off line et notamment à participer à la « démocratie sanitaire » en représentant les patients dans différentes instances.
Nous avons ainsi créé en 2009 un think tank informel (www.demainlagreffe.fr), issu de Renaloo, donc des patients, mais réunissant également des professionnels de santé, des universitaires et des représentants de la société civile, dans le but d’intervenir sur la révision de la loi de bioéthique et en particulier des questions relatives à la greffe et au don d’organes. Durant deus ans et demi, on a multiplié les rencontres avec les parlementaires, été auditionnés par différentes instances, organisé deux séminaires avec le Ministère des Affaires étrangères, publié différentes tribunes, dans le Monde notamment et mené de nombreuses actions. Au final, la quasi totalité des amendements que nous avions rédigé ont été adoptés, en particulier celui qui a élargi le cercle des donneurs vivants, contre l’avis du rapporteur et du gouvernement (désormais un ami proche peut donner un rein, ce qui était strictement impossible auparavant).
De fil en aiguille, l’association a pris de l’importance et elle est aujourd’hui considérée comme un acteur à part entière dans l’univers de l’insuffisance rénale, voire au delà…
4/ Quelques chiffres concernant Renaloo aujourd'hui ?
- Une équipe d’une vingtaine de bénévoles très impliqués, qui se répartissent des missions online (rédaction de contenu, webmastering, modération du forum, community management sur les réseaux sociaux – facebook, twitter, etc.) et off line (participation à différentes actions et groupes de travail, réalisation de brochures, projets de recherches, etc.)
- Un comité médical, qui valide les contenus et nous conseille sur différents aspects, sans participer à la gouvernance de l’association cependant.
- Environ 2500 actifs sur le forum
- 1200 visiteurs uniques par jour
- Sur l’année 2011, environ 250 000 visiteurs uniques sur le site, dont 10 000 sont venus plus de 100 fois dans l’année et 10 000 entre 15 et 100 fois dans l’année…
5/ Renaloo qu'est-ce qu'il t'a apporté prioritairement ? Qu'a-t-il apporté aux maladies rénales ?
Je pense que Renaloo est devenu une ressource importante pour les internautes concernés par des problème rénaux : l’accès à une information de qualité d’abord, probablement plus complète et moins standardisée que celle proposée par d’autres sites santé plus généralistes. Une communauté d’entraide ensuite, avec des relations interpersonnelles de soutien mutuel et des partages de connaissances et d’expériences via le forum et maintenant les réseaux sociaux… Né en 2002, Renaloo est en quelques sorte un pionnier des mouvements de patients sur le web et il s’est développé en suivant ses évolutions.
Je suis toujours étonnée de la richesse des échanges et de la capacité « d’empowerment » qu’offrent ces outils. Je pense qu’on n’a pas fini d’être surpris par l’impact du web dans la santé, sur le rééquilibrage de la relation soigné soignant ainsi que sur le rôle de plus en plus actif que prennent les malades dans le soin.
A titre personnel, je n’aurais jamais imaginé que le site aurait ce développement et qu’il prendrait cette importance. C’est bien entendu très gratifiant, mais aussi passionnant et j’espère qu’il va continuer sur sa lancée (je vais m’y employer !) et aller au delà en participant, voire en provoquant les évolutions du système de santé concernant l’insuffisance rénale, au bénéfice des malades. En tout cas, j’y crois…
Nous faisons en effet le constat, partagé par une bonne partie des professionnels, d’un certain nombre de dysfonctionnements et de difficultés, qui pénalisent les malades et leur font perdre des chances. Nous sommes également convaincus que dans le contexte de déficit que nous connaissons, laisser les choses en l’état ferait courir le risque de décisions drastiques des pouvoirs publics, au détriment des patients bien entendu, mais aussi de l’ensemble des acteurs du soin. Il nous semble nécessaire d’agir et de réagir pour éviter d’en arriver à de telles extrémités. Pour toutes ces raisons, Renaloo initie en 2012 les Etats Généraux du Rein.
Il s’agit, sur une durée d’environ 18 mois, de réunir toutes les parties prenantes de l’insuffisance rénale en France (professionnels de santé de toutes catégories, autres soignants et intervenants de l’environnement du soin, établissements, experts en santé publique et économie de la santé, institutionnels, industriels et, bien sûr, les patients, leurs proches et leurs associations) pour établir, ensemble, un état des lieux consensuel et des propositions d’améliorations, destinées aux pouvoirs publics. Il y aura différents travaux et réunion IRL, mais le web prendra également une place primordiale dans le dispositif, en permettant notamment à toutes les personnes concernées, malades ou proches de malades, de prendre la parole et d’être entendus…
6/ Quel est le rôle des professionnels de santé et des patients dans Renaloo ?
Nous sommes convaincus qu’il existe une communauté d’intérêts très forte entre les professionnels de santé et les patients et c’est la manière dont nous tentons de travailler, tout en veillant à préserver notre indépendance. Notre crédo est simple, il s’agit de faire en sorte que toutes nos actions soient centrées sur l’intérêt exclusif des malades et il faut bien dire que parfois, ça agace, d’autant que le monde de la néphrologie reste assez conservateur. Mais les choses évoluent ! Et nous continuons de penser – et nous prouvons régulièrement - que ce qui nous rassemble est bien plus important que ce qui nous sépare.
Notre expérience est que nos projets fonctionnent toujours mieux lorsque nous parvenons à y associer de manière constructive des professionnels. Beaucoup d’entre eux l’ont bien compris et nous sommes également de plus en plus sollicités. Ces collaborations sont le plus souvent très riches et des liens de confiance mutuelle se tissent. Je pense que les professionnels de santé ont beaucoup à apprendre de nous (les patients) à condition d’accepter de nous écouter et de nous considérer comme des interlocuteurs à part entière. Même si ce n’est pas encore tout à fait dans la culture médicale, on y travaille ;o)
Nous vivons la pathologie dans notre chair et nous en avons un savoir expérientiel qui doit être pris en compte dans le soin. Nos parcours nous ont aussi permis d’acquérir un certain nombre de compétences d’adaptation (par ex avoir surmonté l’épreuve de la maladie grave, développer des capacités d’empathie pour aider nos pairs, avoir appris à utiliser le web pour s’informer et informer les autres malades, militer pour sa « cause », etc.) qui ne doivent plus être occultées, car elles sont autant de leviers d’amélioration des systèmes de santé. Je trouve que c’est un véritable gâchis qu’elles ne soient toujours pas valorisées et utilisées. Cette prise de conscience devra passer par les professionnels de santé, mais elle implique qu’ils acceptent de renoncer à une partie de leur pouvoir pour qu’une alliance constructive puisse se mettre en œuvre.
7/Te considères tu une ePatiente ? Que mets-tu derrière ce mot ?
Je me considère clairement comme une epatiente. Je le suis devenue lorsque je me suis tournée vers internet pour y chercher – et y trouver des informations et des connaissances sur ma santé. J’ai appris beaucoup de choses sur le web, et pas seulement sur ma maladie et ses traitements. J’ai appris des autres patients en échangeant avec eux, j’ai appris à reconnaître une info de qualité, puis à la restituer en la rendant plus accessible, en transformant le jargon en langage compréhensible, en allant à l’essentiel. J’ai appris à utiliser différents outils, comme les médias sociaux, pour partager mes idées et faire progresser ma « cause », à la fois en m’appuyant sur la viralité et aussi sur la présence de personnalités influentes, qui sont devenues des alliés.
C’est un peu tout ça que je mets derrière la terminologie de epatient : le fait de s’approprier sur et grâce au web, via le prisme de la santé, des compétences très diverses pour mieux connaître sa maladie, mieux se prendre en charge, devenir acteur, et pourquoi pas s’engager et militer.
8/ Quels enseignements en tires-tu de cette activité d'e-Patiente et que tu pourrais communiquer pour le bénéfice des autres ?
Internet a été pour moi un outil fabuleux d’empowerment. A titre personnel, je pense que mon parcours médical aurait sans doute été très différent (et probablement moins favorable) sans internet. Les écueils sont si nombreux… J’encourage donc sans état d’âme les personnes qui sont confrontées à une difficulté de santé et leurs proches à se tourner vers le web, en complément bien sûr à leur prise en charge médicale. On peut y trouver tant de réponses et d’enrichissement, tout en évitant ses pièges que certains brandissent comme des épouvantails. Clairement, pour les patients, le rapport bénéfice / risque est largement en faveur du web !
9/ Et pour la conférence Doctors 2.0 & Vous, vous êtes "la cause" 2012. Cela doit être une source de satisfaction en plus des divers prix déjà gagnés ?
C’est effectivement très gratifiant pour nous, c’est une véritable reconnaissance et c’est aussi la promesse de beaucoup de belles rencontres… Nous sommes donc très reconnaissants à l’équipe de Basil Stratégies, qui a fait ce choix !
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