(Article 2 concernant la qualité des sites santé, republié à l'occasion de l'arrêt de l'accord HAS-HON)
Faut-il un nouvel outil d’évaluation de la qualité des sites web médicaux ? Les vraies et fausses questions
article de Denise Silber, publié en 2006 sur le site des Médecins Maîtres Toile
Le marketing viral, c’est-à-dire la diffusion d’une nouveauté par les internautes eux-mêmes ne marche pas dans le cas des outils d’évaluation des sites web médicaux. La vraie attente des consommateurs n’est pas tant d’évaluer la qualité des sites web médicaux mais de pouvoir discuter avec leur médecin des questions que ces informations suscitent. L’internaute sait regarder plusieurs sites pour voir si l’information est valable. Mais l’échange médecin-patient pose des problèmes et notamment au médecin. Ni les études médicales, ni l’expérience terrain actuels ne préparent les médecins au dialogue avec le patient concernant les sources d’information, la compréhension qu’il en a, ses attentes. La vraie valeur ajoutée serait de faciliter le dialogue médecin-patient. Quelques essais en France de lancer des listes de sites web médicaux recommandés par les médecins ont été avancés y compris par des membres des MMT. Mais ils n’ont pas dépassé le stade initial. Est-il temps de relancer cette approche ou une autre ? Oui, si nous avons les moyens de la faire savoir. Nous gagnerions beaucoup à enrichir le dialogue médecin-patient autour de l’information santé, à condition d’avoir les moyens d’intéresser largement les professionnels et les patients.
Les origines de la certification des sites web médicaux
Entre 1996 et 2001, divers groupes, soit des associations à but non lucratif, soit des organismes institutionnels, principalement en Amérique du Nord et en Europe, ont produit une dizaine d’outils d’évaluation de la qualité des sites web médicaux. On peut citer (par ordre alphabetique) Discern, Eve [1], HSWG, Internet Healthcare Coalition, Medscoring / MedCircle, NetScoring, Omni, Quality Criteria (Commission Européenne), Toucanomètre, URAC, VIPPS. Viennent se rajouter à cette liste tous les outils d’associations, universités, et individus n’ayant pas eu une diffusion importante, QuackWatch (une liste de sites non-fiables), les outils non-médicaux visant à garantir la qualité (BBB,Truste, Verisign, WebTrust), sans omettre les approches par nom de domaines ".health".
Tous ces intervenants partageaient un même souci, celui de protéger l’internaute non-professionnel de santé des informations de sources frauduleuses, biaisées, voire non respectueuses de la confidentialité. La légende de la bande dessinée du magazine New Yorker (juillet 1993) résumait bien la pensée de l’époque : un chien utilisait un clavier et disait à un autre chien "sur internet, personne ne sait que je suis un chien".
De nombreuses publications dans des revues biomédicales examinèrent les sites médicaux soit dans une spécialité dans un pays, ou par thème, afin d’estimer la présence d’information éventuellement nuisible. Il n’y a jamais eu de démonstration concluante, malgré la présence de textes erronés, périmés, biaisés... Le consommateur a le réflexe de comparer les sources, voire d’interroger un expert, lorsqu’il s’agit d’une question importante.
Les outils d’évaluation consistaient le plus souvent en une liste de critères de qualité (qualification des auteurs, mise à jour régulière du site, justification des informations fournies à l’aide de références bibliographiques, respect de la confidentialité des données, transparence du financement, séparation claire entre contenu et publicité...), liste assortie d’une série de questions que l’évaluateur du site devait se poser afin de déterminer si les critères de qualité étaient remplis.
Deux organisations « Health on the Net Foundation » (1996) et URAC (2001) ont émergé comme leaders sur le plan opérationnel, la majorité des autres tentatives s’arrêtant à la production de l’outil. Health on the Net basé à Genève se donnait d’emblée un objectif international alors que l’URAC s’attachait au marché américain, compte tenu de son activité de base : l’accréditation des HMO, organisations de soins aux États-Unis. Citons également : NetScoring, œuvre française, le Code d’éthique e-santé, un travail collaboratif inspiré par l’Internet Healthcare Coalition, les Critères de qualité de la Commission Européenne, et MedCertain. Ce dernier est un système collaboratif de certification.
Health On the Net « HON »
HON est la plus ancienne et la plus connue des méthodes
d’évaluation. Elle est traduite à ce jour en 29 langues. Son site web
fait l’objet de 852 000 liens entrants provenant d’autres sites.
HONCode, ou charte de qualité en 8 critères, est né en Suisse au
sein d’une fondation privée, devenue depuis ONG reconnu des
Nations-Unies. HON a récemment fêté ces 10 ans en compagnie de l’OMS.
Les actions de HON ont largement dépassé celles de la mise au point d’un code de qualité des sites web médicaux et elles sont remarquables.
HON
met à disposition un répertoire de milliers de sites qui adhèrent à sa
charte de qualité, évaluant gratuitement tout site candidat.
HON a créé son propre moteur de recherche médicale qui rapporte des pages pertinentes à partir d’un mot clé
Les logos de HON sont dynamiques, ce qui permet à HON de supprimer la reconnaissance, si le site a failli à ses devoirs.
La
Fondation HON a créé « Wrap-In » , méthodologie visant à automatiser la
recherche d’information médicale de qualité, afin de permettre à un
internaute de faire contrôler rapidement une page d’un site non encore
évalué.
L’équipe,
pourtant réduite, de HON participe à un nombre impressionnant de
recherches, colloques et publications concernant la qualité des sites
web médicaux.
Et pourtant les internautes qui connaissent l’existence de HON sont une minorité. Si l’on regarde les statistiques figurant sur le site HON, moins de 500 000 utilisateurs ont visité le site en novembre 2005.
URAC
URAC a lancé ses premières évaluations de sites web médicaux en 2001, cinq ans après HON. Ces évaluations comprennent 50 référentiels ou « standards », une visite de vérification dans les locaux du producteur du site et une révision annuelle.
URAC se distingue des autres outils d’appréciation des sites web médicaux par la profondeur des évaluations. Par conséquent, les évaluations sont payantes à raison de plusieurs milliers de dollars. Au-delà des considérations financières, elles ne sont pas à la portée de sites web médicaux produits par une équipe restreinte et encore moins à celle d’un auteur unique, compte tenu des moyens requis.
Citons :
la
nécessaire présence d’un comité de lecture opérationnel et d’un comité
de supervision de la protection des données personnelles,
l’obligation d’un rapport d’audit indépendant annuel concernant la protection des données personnelles,
la formation continue du personnel chargé de la qualité du site web institutionnel.
A ce jour, URAC a évalué environ trois cents sites américains. Est-ce un nombre faible, comparé aux milliers de sites HON ? Pas du tout. Les sites évalués par URAC font partie des sites les plus utilisés aux États-Unis. Il s’agit par exemple de MedlinePlus, édité par la NLM (bibliothèque nationale de médecine), ainsi que de nombreux sites fournis aux assurés médicaux par les sociétés privées. Ces assureurs souhaitent démontrer à leurs adhérents que les sites sont de bonne qualité et respectent la vie privée.
De ce fait, le logo URAC est typiquement bien mis en évidence sur la page web du site évalué.
La situation française en matière d’évaluation de sites web médicaux
La France a connu une croissance de 200 % de l’usage du web dans les cinq dernières années. Une personne sur deux a recours à l’Internet en 2006 et la santé fait partie des informations régulièrement recherchées. Contrairement à d’autres pays européens, la France n’a pas choisi de créer un portail national d’information santé. Aujourd’hui un tel portail aurait du mal à percer dans les moteurs de recherche, les places étant prises par des éditeurs qui s’y sont lancés depuis plus de cinq ans, les plus importants étant l’œuvre de sociétés commerciales et cumulant des millions de visites par mois. Selon le sujet médical, on doit également reconnaître la valeur ajoutée de sites produits par des passionnés bénévoles, dont de nombreux « Médecins Maîtres-Toile. »
Y a-t-il un trou dans le dispositif d’évaluation de qualité de sites web médicaux en France ?
Au sens théorique, il y a une lacune en France, parce qu’il n’existe pas de liste de sites web médicaux évalués, vérifiés. Un grand nombre de sites web médicaux français et ou en langue française ont obtenu le label HON. Mais, HON est peu connu des Français, et son évaluation n’est pas une certification équivalente à celle fournie par URAC. La loi française prévoit que les sites web médicaux soient certifiés. Mais prévoit-t-elle les moyens financiers importants requis pour réussir l’opération ?
On peut se demander s’il est vraiment opportun de chercher à mettre en place « encore » une labélisation des sites de santé, venant après celles qui existent déjà. Sans doute un groupe de travail serait-il capable de concevoir l’outil mais quels moyens seront disponibles pour poursuivre l’application du projet, la communication, et pour assurer sa maintenance sur le moyen et le long terme ? Quelle sera la légitimité du groupe qui s’y attache ?
En fait, les Français ne se plaignent pas, en règle générale, de la qualité insuffisante des sites web médicaux. Le problème est plutôt pour chacun de savoir si les informations disponibles sont applicables à son propre cas et éventuellement ce qu’en penserait son médecin. Ceci nécessite d’en parler avec son ou ses professionnels de santé. Malheureusement, ce n’est pas souvent le cas :
Les consultations sont trop courtes.
La survenue des questions n’est pas contemporaine du rendez-vous.
Les médecins n’ont pas été formés à solliciter ce type de questionnement du patient.
Beaucoup de patients n’osent pas informer leur médecin des recherches d’informations qu’ils ont effectuées.
Il n’existe pas de mécanisme de communication médecin-patient entre les visites.
De nombreuses études confirment l’insuffisance du dialogue patient-médecin, du point de vue du patient, et sa contrepartie logique : la crainte (non fondée) du médecin d’être inondé par des questions des patients. (Silber : Bilan de la relation médecin, patient, internet, Hépato-Gastro. Janvier 2005)
Que faire ? Quel serait un meilleur usage des ressources ? Mes recommandations sont les suivantes :
Donner envier aux médecins de :
a) Se former au rôle de la bonne communication dans l’amélioration du suivi des consignes par les patients
b) Mettre au point des modalités de communication et les proposer à ses patients
c) Sélectionner des sources d’information et les recommander à ses patients
Créer, au niveau d’une association comme les MMT, un site permettant aux médecins de voir les sites sélectionnés par d’autres confrères. (cf. l’outil EVE mis au point par MMT,V Robert et F Tusseau, qui permet la collaboration des médecins autour de leurs propres listes de sites recommandés au patients)...
Mettre en ligne sur le site MMT un nouvel article collaboratif, voire un dossier, essentiellement pratique, s’adressant aux confrères, sur le sujet de la communication avec leurs patients et internet. Qui se propose de partager la tâche avec moi ?
Liens utiles
HonCode (1996-2006) 8 Principes du HonCode Lire aussi les Directives pour chaque principe
NetScoring (1997, 1998, 2001, 2005) 49 critères qui représent 8 critères crédibilité, contenu, hyper-liens, design, interactivité, aspects quantitatifs, déontologie, et accessibilité
eHealth Code of ethics - Internet Healthcare Coalition (2000)
URAC (2001, 2006) 50 référentiels EC Health Web Site Quality Criteria
www.denisesilber.com : actualités de l’internet santé
[1] Projet de label interactif développé notamment par Frank Tusseau et Vincent Robert pour les MMT
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